La brûlure et la délivrance
Il y a des mots qui pèsent comme des pierres sur la poitrine.
Des souvenirs que l’on garde coincés au creux de la gorge.
Des blessures qui ferment mal et qui suppurent dans le silence.
Et puis un jour, il y a l’écriture. La feuille blanche devient le lieu d’une rencontre entre le poids et la lumière. La douleur trouve une sortie, une forme, une voix. C’est cela, la catharsis de l’écrivain : le processus par lequel écrire ne sert plus seulement à raconter, mais à se libérer, à se purifier, à renaître.
Aristote parlait déjà de catharsis au IVe siècle avant notre ère. Et j’avais adoré étudier cela à la fac de Lettres en 19… Ouais, ok, laisse tomber la date, on s’en fout hein ? Si, si je t’assure, on s’en fout.
Donc, dans sa Poétique, il définissait la tragédie comme une manière d’éveiller et de purger les émotions d’effroi et de pitié chez le spectateur. Mais ce que les dramaturges grecs avaient compris pour la scène, les écrivains de tous les temps l’ont expérimenté dans leur chair : écrire guérit. Écrire nettoie. Écrire transforme.
Cet article est une plongée au cœur de cette puissance. Nous allons explorer les dimensions psychologiques, historiques, spirituelles et pratiques de la catharsis de l’écrivain. Car comprendre ce mécanisme, c’est non seulement éclairer sa propre relation à l’écriture, mais aussi ouvrir une porte immense : celle qui mène à la libération personnelle et à la création littéraire la plus authentique.
Et je crois bien que c’est pour cela, la catharsis, que je suis coach d’auteures !
La catharsis, une vieille histoire humaine
Les racines grecques
Le mot vient du grec katharsis : purification, épuration. Pour Aristote, la tragédie suscitait des émotions intenses chez les spectateurs afin de les purger, comme un orage nettoie l’air.
Mais bien avant Aristote, l’humanité connaissait déjà ces moments de libération collective : les rituels chamaniques, les danses tribales, les chants funéraires, les contes racontés autour du feu. Chaque civilisation a inventé ses propres formes de catharsis, comme si l’âme humaine cherchait depuis toujours des moyens de transformer sa douleur en force vivante.
De la scène au livre
L’écrivain reprend ce rôle de prêtre, de chamane, de guérisseur. Il fait descendre dans ses mots ce qui ronge, ce qui brûle, ce qui hante. Les journaux intimes, les mémoires, les romans autobiographiques sont souvent des autels où l’auteur vient déposer ses fardeaux.
Virginia Woolf a écrit pour tenter de donner sens à son chaos intérieur. Primo Levi a écrit Si c’est un homme comme une nécessité vitale, presque un exorcisme. Marguerite Duras disait : « Écrire, c’est hurler sans bruit. »
À chaque époque, des écrivains se sont saisis de la plume non pour séduire ou divertir, mais pour survivre.
Les mécanismes psychologiques de la catharsis
Écrire pour dire ce qui ne peut être dit
Il existe des douleurs impossibles à formuler par la parole. Parce qu’elles sont trop lourdes. Parce qu’elles se heurtent à la peur d’être jugé. Parce qu’elles semblent indicibles.
L’écriture, elle, offre un espace sans censeur. Le papier ne coupe pas la parole, ne soupire pas, ne détourne pas les yeux. On peut y déposer l’indécent, l’inavouable, l’incompréhensible.
La mise en forme comme transformation
Le simple fait de transformer un chaos intérieur en phrases structurées est un acte thérapeutique. Quand une émotion devient un récit, elle cesse d’être un flot indistinct. Elle prend une forme. Et ce qui a une forme peut être regardé, traversé, dépassé.
La distance créatrice
Écrire met une distance entre soi et l’expérience. L’événement douloureux est déplacé sur la page. On peut alors le relire, le comprendre différemment, parfois même en sourire. Cette distance est un espace de respiration.
Les neurosciences en appui
Les recherches contemporaines en psychologie et en neurosciences confirment ce que les écrivains savaient intuitivement : écrire ses émotions réduit le stress, améliore l’humeur, stimule la résilience. James Pennebaker, chercheur américain, a montré que l’écriture expressive améliore même le système immunitaire. Alors, écris !
Les formes de catharsis dans l’écriture
Le journal intime : un sanctuaire
Tenir un journal intime est une pratique cathartique millénaire. C’est un espace où l’on dépose le flux de ses pensées sans filtre. Chaque page agit comme une soupape de sécurité. Mais il arrive qu’à un moment le journal intime ne soit plus suffisant.
Le roman autobiographique ou auto-fiction : transfigurer sa vie
Quand on choisit de transformer son histoire en fiction, on déplace la douleur dans un autre corps, un autre nom, un autre décor. Cela permet d’oser tout dire, sans se livrer entièrement. L’histoire personnelle devient matière universelle.
La poésie : cristalliser l’indicible
La poésie condense l’émotion brute en éclats de mots. Elle capte l’instant avec une intensité qui échappe à la prose. Écrire un poème, c’est souvent survivre à un vertige intérieur.
L’écriture symbolique : métaphores et contes
L’inconscient adore les images. Les contes, les métaphores, les récits oniriques permettent d’exprimer des blessures profondes sous une forme voilée. Derrière la princesse prisonnière ou le guerrier blessé, il y a toujours une part de soi qui cherche à se libérer. Et je me régale ( le mot est faible) à écrire et inventer, ou l’inverse d’ailleurs, des contes hypnotiques et jouer avec l’imaginaire et le symbolisme. Je suis d’ailleurs toujours autant fascinée par l’impact que les histoires ont sur le cerveau humain ( et sur les animaux aussi si j’en crois le chat et le chien qui régulièrement s’endorment lors de mes enregistrements et séances).
Les risques et les limites
La catharsis n’est pas un médicament miracle. Elle peut aussi rouvrir des plaies encore infectées. L’écrivain peut se retrouver face à un abîme trop grand.
Il y a un risque d’auto-enfermement : ressasser sans transformer. De rester prisonnier de ses pages comme dans une boucle.
La catharsis exige une posture : écrire non pas pour tourner indéfiniment autour de sa souffrance, mais pour lui donner un passage vers autre chose. C’est ici que mon rôle prend toute son utilité, je guide, j’accompagne, je soutiens, j’aide à libérer et à démêler. Bref je suis une coiffeuse d’émotion, une détricoteuse de souffrance.
Pratiques pour activer la catharsis
1. L’écriture libre
Écrire pendant 20 minutes sans s’arrêter, sans se corriger, sans réfléchir. Laisser le flot se déverser.
2. Les lettres non envoyées
Écrire à quelqu’un ce qu’on n’a jamais osé dire. Puis garder la lettre, ou la brûler.
3. Réécrire son histoire
Prendre un souvenir douloureux et le réécrire en changeant la fin. Créer une issue symbolique.
4. Les métaphores personnelles
Trouver une image qui résume sa douleur : « un poing fermé », « un carrelage froid », « une porte verrouillée ». Puis écrire autour de cette image jusqu’à la transformer.
5. Le témoignage partagé
Parfois, la catharsis culmine quand on ose publier, lire ou confier ses mots. Non pour chercher des applaudissements, mais pour se libérer définitivement du poids du secret.
Quand la catharsis devient œuvre universelle
L’écrivain ne guérit pas seulement pour lui-même. En transformant sa douleur en récit, il offre une clé aux autres.
Un livre cathartique devient miroir. Chaque lecteur y trouve une part de sa propre histoire. C’est ainsi que la libération individuelle se transforme en guérison collective.
Les grands textes de la littérature universelle sont souvent nés de blessures : Les Confessions de Rousseau, Une vie de Maupassant, Les Mots de Sartre, Mille petits riens de Jodi Picoult. Et tous les livres bientôt connus et reconnus des femmes que j’accompagne.
Chacun de ces livres est à la fois cri intime et offrande universelle.
Ecrire pour renaître
La catharsis de l’écrivain n’est pas un luxe. C’est une nécessité vitale. Écrire, c’est accoucher de soi-même. C’est ouvrir une porte dans le mur de sa forteresse intérieure. C’est déposer ses fardeaux pour marcher plus léger.
Alors, si tu portes encore des histoires qui te brûlent, des souvenirs qui t’enchaînent, des émotions qui débordent, prends la plume. Ne cherche pas à bien écrire. Cherche à écrire vrai.
Car la vérité posée sur le papier est le premier pas vers la liberté.